La question de la double nationalité est déjà posée depuis un certain temps. Cependant, ces derniers mois, nous avons assisté à un développement de la polémique autour de cette question.
Quelques précisions juridiques
L’acquisition de la nationalité française
Il existe quatre façons d'accéder à la nationalité française : par filiation, par naissance sur le sol français, par naturalisation et par déclaration.
• Le droit du sol : Un enfant né en Colombie est colombien, quelle que soit la nationalité de ses parents : c’est le véritable jus soli, le droit du sol ; un enfant né en France de parents étrangers n’est français que si l’un de ses deux parents est lui-même né en France ; dans le cas contraire, il n’obtiendra la nationalité française qu’à l’âge de dix-huit ans, s’il a vécu au moins cinq ans en France depuis l’âge de onze ans.
• Par naturalisation : C'est l'autorité publique qui, par décret, naturalise les personnes qui le demandent, sous certaines conditions : il faut être en situation régulière, être majeur, résider en France depuis 5 ans, être assimilé(e) à la société française tant au niveau culturel que linguistique, ne jamais avoir été condamné(e). Une enquête minutieuse de la police ou de la gendarmerie est diligentée de façon systématique.
• Par déclaration : En cas de mariage avec un ressortissant français, la nationalité française peut être acquise dans les deux ans à compter du mariage. Une enquête des services préfectoraux et consulaires est diligentée aux fins de déterminer et de vérifier :
• la communauté de vie effective des époux ;
• le degré de connaissance de la langue française lors d'un entretien individuel donnant lieu à un compte-rendu ;
• le degré d'assimilation à la communauté française ;
• l'appréciation de la conduite et du loyalisme du demandeur.
Quels sont les droits en France d'une personne ayant deux nationalités dont la nationalité française ?
La France considère le double national comme titulaire de l'ensemble des droits et obligations attaché à la nationalité française, qu'il s'agisse d'un français ayant acquis une autre nationalité ou d'un étranger devenu français. Par ailleurs, la France ne fait aucune distinction entre les binationaux et les autres Français sur le plan des droits et devoirs liés à la citoyenneté.
L'État étranger ne peut pas faire bénéficier de sa protection le binational sur le territoire français. En effet, lorsqu'un binational réside sur le territoire français, il est considéré comme son ressortissant exclusif.
Quels sont les droits à l'étranger d'une personne ayant deux nationalités dont la nationalité française ?
Un français binational ne peut pas faire prévaloir sa nationalité française auprès des autorités de l'autre État dont il possède aussi la nationalité lorsqu'il réside sur son territoire. Il est considéré par cet État comme son ressortissant exclusif (comme il le serait par rapport à la France s'il y résidait). En conséquence, la protection diplomatique de la France ne peut s'exercer contre l’autre État dont l'individu a également la nationalité.
Une offensive dans les médias
L’actualité politique, dans cette période préélectorale, ne cesse de stigmatiser les doubles nationaux. Tantôt le Front National déclare que « La multiplicité des appartenances à d’autres nations contribue aujourd’hui, et d’une manière de plus en plus préoccupante, à affaiblir chez nos compatriotes l’acceptation d’une communauté de destin, et par là-même à miner les fondements de l’action de l’Etat » et propose de supprimer la double nationalité ainsi que le droit du sol qui, prétend ce parti (voir la législation précisée ci-dessus), permet aux personnes nées en France de bénéficier de la nationalité française et de déchoir de la nationalité française les binationaux condamnés pour des faits délictuels ou criminels. Tantôt le député Claude Goasguen de l’UMP qui a rédigé un rapport préalable consultable à cette adresse :
http://es.scribd.com/doc/58407238/38248-Le-Rapport-de-La-Mission-Parlementaire-Sur-La-Nation-a-Lite lui emboîte le pas en affirmant « Je souhaite que l'on commence par enregistrer les situations de double nationalité au moment des actes de mariage, de naissance ou de naturalisation. On disposerait ainsi à terme d'un registre des binationaux. En France aujourd'hui, on ne sait pas combien ils sont, sans doute 4 à 5 millions. Je souhaite aussi qu'on aille progressivement vers une limitation de la double nationalité par le biais de discussions bilatérales avec les pays. Cela veut dire qu'on demanderait aux gens de choisir entre deux nationalités. Ou bien qu'on aille vers une limitation des droits politiques. Car il est tout de même gênant qu'une personne puisse voter en France et dans un autre Etat. En procédant ainsi un binational se retrouverait en quelque sorte avec "une nationalité et demie".»
L’UMP qui cherche à chasser sur le terrain de l’extrême droite mais qui n’est pas unanime va en faire un sujet de débat interne. Dominique de Villepin a immédiatement affirmé : « Quand on voit l'extraordinaire ridicule, et je pèse mon mot, de ce débat sur la binationalité, qui est un reniement de la tradition française (...) on se rend compte d'abord qu'il y a un certain nombre de responsables politiques qui se foutent du monde, qui se foutent des Français, qui jouent sur les peurs et les divisions. »
Quelle est la position de l’ADFE face à ce déferlement d’actualité médiatique ?
Pour nous, français résidant à l’étranger, ce débat présente un risque car on nous demande de choisir entre deux nationalités à chacune de laquelle sont attachés des droits et des devoirs dont nous avons besoin pour vivre pleinement à l’étranger. Ce choix limiterait nos possibilités de circulation ou d’implication politique et sociale dans les pays où nous résidons et dont nous sommes aussi nationaux. Si on nous demande de choisir, on nous demande de renier soit notre identité familiale, soit nos droits locaux. Ce choix est difficile, voire impossible à effectuer.
Pour nous, loin d’être un défaut, une impureté, la double nationalité est une richesse qui permet à ceux qui en bénéficient d’être les citoyens de deux pays et de pouvoir faire un pont entre leurs deux cultures. Les enfants de couples mixtes sont à la fois 100% français en France et 100% colombiens en Colombie car ils ne peuvent choisir entre la nationalité de leur père et celle de leur mère : ils participent des deux cultures et appartiennent aux deux nations de ceux-ci. Les époux de français et de colombiens ont un intérêt particulier pour la culture de leur conjoint et doivent pouvoir s’installer dans le pays de leur choix et voter dans les deux pays. Posséder la double nationalité leur donne le droit de circuler entre les deux pays sans obstacle, ce qui permet à leurs enfants de connaître également leurs deux familles. Quant à ceux qui ont acquis une nationalité après avoir résidé longtemps dans un pays, leur droit ne saurait être nié car ils sont souvent plus proches de la nation dont ils ont acquis la nationalité que de celle dont ils sont originaires.
Les doubles nationaux sont même les personnes qui sont le mieux à même de défendre les intérêts des français résidant à l’étranger : en effet, ils connaissent profondément les réalités des pays dont ils sont originaires et peuvent ainsi mieux comprendre les français qui se sont installés en dehors des frontières de l’hexagone.
« Le fait d'avoir deux ou plusieurs nationalités est une réalité de notre époque et constitue une richesse culturelle et une ouverture au monde. Dans un foyer binational on n'a pas à choisir, on ne choisit pas une culture et une nationalité par rapport à l'autre: l'une et l'autre peuvent se vivre pleinement, et ce vécu est un facteur de compréhension entre les peuples, de fraternité et de paix ».
Nous sommes électeurs en France, nous sommes représentés au Sénat et nous allons maintenant élire des députés à l’Assemblée Nationale. Nous serons très attentifs aux déclarations des différents partis concernant la binationalité car nous voulons défendre nos droits ainsi que ceux de nos enfants et de nos conjoints.
Blandine Descloquemant, Français du Monde-ADFE Colombie